Réalité et principe de non contradiction
La
philosophie, dès sa naissance, a voulu comprendre la réalité, souvent en
l’opposant à ce qu’elle ne serait pas. Dans « La République », Platon
tourne le dos aux Tragiques, décrète la nécessité de mettre les poètes à la
porte de la Cité et invente l’allégorie de la caverne selon laquelle les Idées
représenteraient la réalité et seraient le privilège, des gardiens de la cité
–les philosophes-, tandis que le commun des mortels, enfermé dans le sensoriel
prendrait les ombres se reflétant sur le mur, au fond de la caverne, donc
l’illusion, pour la réalité. Et nous restons pris dans cette métaphore, de façon catastrophique
ainsi que le suggère Derrida dans « La carte postale » (voir sur ce
blog texte d’août 2011) ; catastrophe pour notre époque encore, que cette
théorisation, éventuellement renforcée par la religion qui considère l’au-delà
comme le vrai monde. Aristote, après Platon, pour théoriser le réel énonce le
principe de non contradiction. Ainsi A est ou n’est pas le ou étant ici purement exclusif. Est-ce
si simple ? Ce principe, en effet, se révèle limité car si on utilise l’outil
du tétralemme, on a le choix entre non plus deux mais quatre hypothèses et peut-être
plus à bien y réfléchir car la théorisation des univers parallèles par les
physiciens contemporains ouvre encore d’autres perspectives.Le
tétralemme, pour ne s’en tenir qu’à lui, propose quatre logiques d’approche de
la réalité :1 :
A est ; 2 : A n’est
pas ; 3 : A ni n’est ni n’est pas ; 4 : A est et n’est pas.
Le tetralemme introduit à la vacuité
Cette
constellation des possibilités est
évoquée dès l’Antiquité par Pyrrhon mais apparaît aussi, depuis des siècles
sous la forme du catuskoti, en tant
qu’expression de la coproduction conditionnelle qui est l’un des fondements du
bouddhisme et dont on retrouve une application dans la physique quantique. Elle
conduit à prendre en compte l’existence du vide médian et de la vacuité en tant
que souffle intermédiaire indiscernable, contribuant à ce que se composent
entre elles, dans une interdépendance, les forces, même apparemment
contradictoires, issues des objets physiques, des sensations, des perceptions,
de la pensée, de la conscience. Le
tetralemme ouvre donc des voies pour approcher la réalité. Mais
le « réel », le
« possible », l « illusoire » s’expriment aussi, - je ne sais si c’est de
façon plus simple ou tout aussi complexe-, dans la conjugaison. Me rappelant ce qu’on m’avait
enseigné : « le verbe est le noyau de la phrase », j’ai
commencé, pour approcher cette question, par mastiquer ce noyau en combinant sa
saveur avec celle de textes qui m’avaient déjà mise en appétit.
Conjugaisons de la réalité
A
première vue, le conditionnel présent quand il prend la forme du potentiel, est un mode-temps de la possibilité : « Je pourrais devenir champion de
ski ». C’est une sorte d’anticipation. Mais si le possible s’avère
irréalisable, le potentiel est alors porteur d’une illusion : celle de croire
que l’on peut échapper à son destin. Ainsi, le conte arabe relaté par
Jacques Deval dans sa pièce « Ce soir à Samarcande », met en scène le
vizir de Bagdad. Ayant rencontré une femme en qui il reconnaît les traits de la mort, il obtient de son calife la permission de fuir à
Samarcande, Le calife donne son
autorisation et, perplexe, part, à son tour, à la recherche de la femme, qu’il
trouve et qui lui dit « j’ai eu un geste de surprise en voyant le vizir
là, à Bagdad, car je l’attends ce soir à Samarcande ». Clément Rosset, qui évoque cet exemple dans « Le
réel et son double », analyse de la même façon l’histoire d’Œdipe. La fuite
répond, dans ces deux situations, à la croyance que l’on peut échapper à son
histoire, c'est-à-dire à soi-même, ce qu’illustre aussi le mouvement de ceux
qui se lancent dans des expériences extrêmes ou des voyages longs et aventureux
pour échapper à leurs difficultés existentielles mais, se quittant ici, se
rencontrent là-bas. On pourrait...Devenu
le temps de l’illusion, le potentiel, aussi nommé irréel du présent se
transforme en conditionnel composé ou irréel du passé : On aurait pu. Avec ce temps composé, force est de revenir de
l’illusion au mode indicatif : on
n’a pas pu. Mais, comme le montre l’auteur, pour l’illusionné, cet
impossible même est dénié.
L'illusion selon Clément Rosset
Clément
Rosset, s’appuyant sur le mort de Samarcande et Œdipe aveuglé, théorise ce qu’il
nomme « illusion oraculaire », y impliquant donc la dimension du
destin. Il analyse aussi, dans le même
essai, l’illusion métaphysique, celle qui donne à croire à un autre monde,
meilleur que celui-ci, deuxième forme de l’illusion. Il en approche en même
temps une troisième forme, pouvant se révéler plus spécifiquement pathologique,
selon lui : la croyance au double sous la forme d’un autre. Que penserait
de cette assignation à la psychopathologie, Paul Ricoeur qui a écrit
« Soi-même comme un autre » ? Selon Clément Rosset, la croyance
à un double fait déjà partie des deux autres formes –oraculaire et métaphysique
- de l’illusion : Œdipe, lorsqu’il rencontre son destin, croit avoir été
transformé en un autre, dans une sorte de trajectoire maléfique qui aurait
métamorphosé son être véritable, en un autre, maudit. Il ne discerne pas qu’il est simplement devenu
lui-même. N’étant plus celui qu’il croyait il pense que sa vie n’est pas
celle qui lui revenait, celle qu’il aurait dû vivre. Le faux, dans l’illusion,
est pris pour le vrai, même après le désastre aveuglant de l’évidence. Le
double aurait anéanti le singulier aux yeux de celui à qui la réalité s’impose
mais qui refuse de voir que c’est le singulier qui, in fine, vient d’anéantir
le double. Sentiment d’injustice et fatale inversion dans l’illusion de ce qui
aurait dû être : le double ayant été pris pour le réel, ce serait
maintenant le réel qui est pris pour un double mortifère.
Le névrosé et l'illusionné selon Clément Rosset
Pour
Clément Rosset, alors que le névrosé pourrait se libérer du conflit qui le
mine, car il est, le plus souvent déchiré entre son désir et son éthique, l’illusionné
serait incurable dans la mesure, où il est l’homme ordinaire, chacun de nous,
en quelque sorte, quand nous voulons ignorer une réalité. Car nous savons mais
dénions. Ainsi Alceste sait bien que Célimène est une femme légère ; mais
il nie l’ensemble des preuves qui lui en sont données. Il préfère croire toutes
les allégations de la jeune femme. Lui aussi se fait dupe et s’insurge jusqu’à
renoncer au monde tel qu’il est : pour lui, une fausse réalité, celle
du dénouement, se substituerait à la vraie, celle qui aurait dû être ;
mais voilà, aurait dû est un irréel
du passé. Même
mouvement dans l’illusion métaphysique : un monde vrai se trouverait
au-delà de celui-ci, qui est faux. L’illusionné est donc bien une dupe, mais dupe
de ses représentations ; non pas
d’une fatalité, mais de lui-même.
Le point de vue de Bergson
Approchant
cette question d’une autre façon dans son essai : « Le possible et l’impossible », Bergson
démontre que le possible n’existe pas. Si l’on revient à l’outil verbal, le possible
ne pourrait, dans ce qu’il analyse, se conjuguer au présent de l’indicatif. Il
n’appartiendrait dans le champ verbal qu’au potentiel (réalisation
aléatoire) ou à l’irréel du passé (ce
qui ne s’est pas réalisé). Le seul temps de la réalité serait ce futur composé,
aussi nommé futur du passé Lui seul présentifie le réel selon Bergson. Cela aura
été possible ; ce temps est celui du seul réel concevable ; Molière aura écrit « Le
Misanthrope »
L’analyse
de Bergson est riche, car dans la mesure où il affirme que rien ne peut être
par avance, conçu comme possible ; alors, place est faite pour la surprise
de l’événement, contenant pour lui, plus de richesse que l’anticipation. Ainsi,
au contraire d’autres penseurs, sa conception de la réalité, donne plus de poids
à la réalisation qu’à la promesse anticipée d’un plaisir. Il s’agit de
convertir l’imagination en sensibilité. On ne peut pas, si l’on suit Bergson, se dire qu’un événement est possible avant
qu’il ne se soit réalisé. On assiste là, à une conversion du conditionnel
présent (je pourrais vous rencontrer
un jour) à un futur du passé, temps de l’indicatif (je vous aurai
rencontré ce jour-là) ; cette conversion modale entraîne avec
elle une transformation de la temporalité : le flou du un jour devient la précision de ce jour-là ; c’est donc le réel qui produit le possible et non
l’inverse comme on le croit communément. Autant dire que cette analyse rejoint
celle de l’illusion telle que la conçoit
Clément Rosset mais reste dans la
conception aristotélicienne de la dialectique et du dilemme : ou
le réel est, ou il n’est pas et,
sortant de cette opposition, on serait piégé par l’illusion et l’image du
double.
Le présent : valeur absolue ou relative?
Et
si l’on essayait,pour approcher le réel, le tétralemme et les deux autres propositions ? On aurait
alors deux autres perspectives : le
réel ni n’est ni n’est pas, puis, le
réel est et n’est pas D’autres
nuances du potentiel apparaîtraient alors : il ne pourrait être ni ne pourrait ne pas être ; il pourrait et ne pourrait
pas être. L’on peut noter dans le dilemme un emploi du verbe être qui nous
est familier : sa valeur ontologique, c'est-à-dire de vérité absolue, Le
tétralemme y introduit du relatif objectant à l’absolutisation ontologique. Si
par exemple, dans le retrait de la plus profonde contemplation, je ressens,
devant un étang, " je suis un
nénuphar", que fera-t-on de ce présent-là ? On peut dire que je délire
–on délire toujours au présent- Dira-t-on que ce présent est irréel quand il
est devenu cette réalité qui me fait poète ou qui fait peintre Cézanne devenu la
« Montagne Sainte Victoire ».
Le tétralemme propose une alternative portée par les conjonctions de
coordination ni, et. Il ouvre donc
d’autres perspectives, particulièrement celle que représente le concept de
« vide médian » dans la philosophie
chinoise ou d’ « emtsa » dans le judaïsme, les deux
évoquant ce qui est « entre », ici entre l’être et le non
être du réel ou du possible. Que se passe-t-il entre le moment où je
suis nénuphar et celui où je me rhabille de mon identité ordinaire, celle que
décrit mon état civil ? Entre le moment où Cézanne est la montagne qu’il
peint, puis revient à lui ? Ce retour
peut-il faire abstraction de l’expérience d’immersion, qui a nourri la réalité
et imprégné la singularité ?
"Que voit-on quand on ne voit rien"?
Revenons
à Clément Rosset. En septembre 2010, il a failli se noyer à Majorque. Il
s’ensuit plusieurs jours de coma et soins intensifs au cours desquels il est
envahi de visions extravagantes, qu’il décrit dans « Le récit d’un
noyé » : il est attaqué par un groupe de néo-mexicains, séquestré
dans un salon japonais, entreprend la quête d’un élixir rouge, rencontre
Cicéron, se fait l’avocat d’un corse accusé de viol etc. A la suite de ce récit, il écrit
« L’invisible » et mon hypothèse est que le voilà pris dans un
dilemme : d’une part, il rejoint « Le réel et son double »
puisqu’il cite Hamlet qui voit
le spectre de son père et à qui la reine répond « Tout cela est forgé par votre cerveau : le
délire a le don de ces créations fantastiques: » ; d’autre part, il pose la question paradoxale « Que voit-on quand
on ne voit rien ? » Le que, ici complément d’objet
direct du verbe s’oppose au rien.
Premier et dernier mot en opposition autour du pivot verbal ; il s’agit
d’un chiasme qui révèle bien ici un certain embarras, la question produisant un
effet paradoxal : oscillation entre que (on voit quelque chose)
et rien. On verrait à la fois quelque chose et rien. Nous quittons là une logique d’opposition,
les contraires s’associant comme dans l’oxymore, quatrième proposition du tétralemme
L'ouverture littéraire
En regard de cette pensée philosophique, finissant par se piéger dans
ce dilemme dans la mesure où elle en a fait son outil (quelque chose ou rien
devient ici quelque chose et rien), la littérature, plus souple et plus
atopique, ouvre, comme la figure logique du tétralemme, d’autres pistes. En ce qui concerne la question de la réalité
« Le chat de Schrödinger » de Philippe Forest en est, tout du long,
un admirable exemple et la première phrase attribuée à Confucius ( il y a dans
l’ouvrage beaucoup de références à la Chine), en est le coup d’envoi : « Attraper
un chat noir dans l’obscurité de la nuit
est, dit-on, la chose la plus difficile qui soit. Surtout s’il n’y en a pas. »
Philippe Forest et les univers parallèles
Ce chat apparaissant disparaissant, là et pas là, vivant et mort est un frère de celui
de Schrödinger qui donne son titre au
roman et dont je rappelle l’expérience. D’abord un
dispositif : un chat dans une boîte, un caillou radioactif, une fiole de
poison, un marteau et un compteur Geiger. La boîte est fermée. Si un seul atome
de la substance radioactive se désintègre pendant l’expérience, le compteur
détecte une particule alpha, un mécanisme met en mouvement le marteau qui brise
la fiole et le chat meurt. Il y a 50% de possibilités qu’il meure ou non. Ceci
ne peut se constater que si l’observateur, qui représente ici l’instrument de
mesure, ouvre la boite. L’issue dépend de la fonction ondulatoire de la
particule qui est dans une superposition d’états, à la fois onde et particule,
comme l’a découvert Heisenberg ; le
chat lui-même, avant l’ouverture de la boite, est dans une superposition, ni
mort, ni vif ; c’est l’indétermination quantique : il n’y a pas de
résultat sans mesure.
Validation scientifique
Ce
qui est piquant, c’est que, ainsi que l’indique Philippe Forest dans son roman,
Schrödinger avait conçu cette expérience pour montrer que les expériences de la
physique quantique aboutissaient à des absurdités. Mais voilà que ladite
expérience servit de tremplin à ses successeurs, qui in fine la validèrent.
Pour Hugh Everett (193061982), le nombre des mondes alternatifs est infini.
Plus près de nous, le philosophe des sciences Michel Bitbol, né en 1954,
démontre que la réalité peut être
expliquée autant par la physique quantique
que par la physique classique. On peut, pour plus de précision, lire sur ce
blog « Le sourire du chat et les univers parallèles », publié en novembre 2011. On y remarquera la citation
relevée par Bitbol dans la « Psychologie générale de Natorp « Un subjectif et un objectif, dans une
stricte unité corrélative, se conditionnent mutuellement ». Voilà qui
vient illustrer la coproduction conditionnelle à laquelle renvoie le tétralemme.
Quel chat?
Revenons
à la première phrase du roman. La sentence attribuée à Confucius « Attraper un chat noir dans l’obscurité
de la nuit est la chose la plus difficile qui soit. Surtout s’il n’y en a pas ». L’auteur précise plus loin :
« difficile, mais pas impossible. » C’est cette difficulté sous
toutes ses formes qu’explore le roman. Y a- t-il un chat ? Il est là, dans
le jardin ou dans la maison, apparaissant/ disparaissant de sorte que sa
première disparition devient évidente avant son apparition : s’il a
disparu, c’est qu’il était là. Il se pourrait donc qu’il y ait un chat et
alors, le potentiel, quittant l’irréel
du présent, devient le temps du virtuel qui est au
fondement de toute spéculation et expérience scientifique comme de
toute rêverie poétique. Exploration du
virtuel, le texte se fait méditation sur la diversité des mondes parallèles. On
en éprouve un vertigineux plaisir en lequel auteur et lecteur perdent pied
ensemble entre apparition-disparition, vie-mort. La poésie du style vient
accompagner cette délicieuse indétermination : « « le
soleil couché, les nuages masquaient la lune et les étoiles, recouvraient tout
le ciel, capturant ce qui lui restait de clarté. Il est apparu quelque part dans
un coin du jardin. Disons près du grand genêt presque sec, à deux pas du
lilas. Dissimulé dans un pan d’ombre, là où, à l’angle, dans le renfoncement,
l’obscurité paraît un peu plus profonde qu’ailleurs ». L’atmosphère
évoquée, de clair obscur, permet de voir ou de croire voir le mouvement sinueux
d’un chat dans le jardin. Il réapparaît, redisparaît, s’installe un certain temps
dans la maison puis, un jour, il aura définitivement disparu. Ce qui rend
émouvante l’ultime disparition, c’est qu’elle fait écho, pour l’auteur à la
mort de sa fille encore enfant...et le narrateur, erre en quête du chat, qu’il
appelle, qui ne répond pas.
D'un monde l'autre
Ce
chat, passant, se fait passeur : il circule et fait circuler entre des
mondes dans une atmosphère ténébreuse d’ensommeillement. Il traverse les portes
du jour et de la nuit. Quand
on ouvre la boîte de Schrödinger, c’est « l’effondrement du paquet
d’ondes » qui provoque l’issue : le chat n’est plus mort et
vivant ; il est mort ou vivant ; le texte de Philippe Forest invite à
rester dans une atmosphère d’entrouverture de la boîte (qui peut aussi référer
à notre boîte crânienne) et donc à suspendre le temps. Dans cet intervalle,
toutes les variations sont possibles et l’on peut penser au chat de Chester dans le pays des merveilles
d’Alice. Il y a, dans ce roman comme dans celui de Lewis Caroll l’atmosphère
fantastique des contes.
Expérience
d’impermanence, ce récit est aussi celle d’une dépersonnalisation: « J’étais
moi-même et puis un autre qui était encore moi-même. Aucun des deux n’était
plus vrai que l’autre. Chacun des deux
êtres dont je parle était autant moi que l’autre et leur coexistence était
pacifique. Ils habitaient tout bêtement deux univers distincts qui, sans doute,
n’en formaient qu’un seul mais qui se trouvaient tellement étrangers qu’ils en
devenaient presque étanches l’un à l’autre, chacun à peine averti de
l’existence de son voisin.
De
l’eau, du sable sous mes pieds
La
réalité ?
Trois
fois rien.
Des
flocons de néant.
Quoi ?
On
ne sait pas.
Cela
et son contraire.
Ondes ou bien corpuscules ? »
La
question ramène à la recherche quantique : ainsi, l’auteur ayant rappelé
qu’Everett, par de purs calculs mathématiques, cette fois, inventa la thèse des
univers parallèles en 1950, ajoute « si, sous les yeux d’un observateur
une particule prend telle valeur donnée, il faut envisager que la même
particule prend également et ailleurs la valeur opposée pour un autre
observateur...A tout moment, partout, le réel bifurque dans tous les sens à la
fois. Tout ce qui est possible se trouve virtuellement réalisé. Le virtuel et
l’actuel ne se distinguent plus. Tout est vrai quelque part et faux partout
ailleurs. »
Retour aux mystères d'Eleusis
La
plupart des penseurs et philosophes ont affirmé qu’une chose est ou qu’elle
n’est pas ; d’autres, il est vrai, ont tenté une approche plus complexe,
(par exemple Cassou-Noguès dans « Mon Zombie et moi » (cf.
texte de novembre 2011 sur ce blog : « Du malin génie de
Descartes au zombie de Cassou-Noguès). C’est que l’observation du monde
subatomique conduit à renoncer à des certitudes en ce qui concerne la réalité.
Philippe Forest le fait en écrivain et je ne peux m’empêcher de penser que l’apparition
en littérature d’une théorie scientifique la valide en quelque sorte. Philippe
Forest associe dans « Le chat de Schrödinger » des éléments
scientifiques et des éléments poétiques,
faisant composition d’approches souvent opposées par les penseurs mais qui, en
réalité se tissent très bien ensemble. Somme toute, c’est ce qu’enseignait
Socrate dans le « Ménon » quand Platon ne se l’assimilait pas encore
tout à fait, un Socrate presque présocratique. Que dit-il en effet dans ce
dialogue ? Que tout, aussi bien la connaissance scientifique (ici celle de
la surface du triangle redécouverte par l’esclave à qui elle n’a jamais été
enseignée) que ce qu’on a traduit ensuite par « vertu »,
« excellence », « grandeur » etc. ne relève pas d’un enseignement
mais qu’on doit le retrouver en soi par l’anamnèse. Et comment réalisera-t-on
cette anamnèse ? Non par le langage ordinaire ni un quelconque
raisonnement mais par une initiation ; celle que l’on pourra vivre à
Eleusis en approchant, par l’intermédiaire des prêtresses, devins et poètes, les
mystères et mythes, en particulier, celui de Perséphone. Celle-ci, remontant
périodiquement de l’Hadès, y retournant, et donc apparaissant/disparaissant ne
serait-elle pas l’aïeule du « chat de Schrödinger », une de ses
formes ? Ainsi, ce sont des réminiscences, remontées de notre Hadès, qui
nous guideront en direction et de la connaissance scientifique et de la « valeur »,
(le mot grec ἀρετή est intraduisible). Perséphone ou
Lechat ! Ecoutons à nouveau Philippe Forest : « « Je
parierais bien [...] que le chat d’Erwin Schrödinger et celui de Lewis Carroll
sont en réalité -Etrange Réalité- un seul et même chat qui est encore tous les
chats à la fois et n’importe quel d’entre eux puisqu’ il n’existe en somme
qu’une créature unique qui partout et toujours, ici et là, maintenant et
autrefois, comme dans chacun des univers parallèles entre lesquels librement
elle voyage, se manifeste sous forme de
chat. »
N.C.