Dans les circonstances qui, actuellement, nous sidèrent, ce
texte, que j’ai écrit en 2008, m’est revenu à l’esprit avec une telle
insistance, que j’ai décidé de le rappeler en l’abrégeant pour n’en retenir que
ce qui, à mes yeux, reste l’essentiel. C’est pourquoi je n’en reprendrai
intégralement que l’introduction et ce qu’écrit Alessandro Barrico à propos de
la guerre. J’essaierai de simplement résumer, afin de ne pas lasser mes
lecteurs par trop de développements théoriques, les approches de la colère
proposées par Peter Sloterdijk et René
Girard. J’inscrirai en italiques les idées qui me viendront au fur et à mesure
de ce « raccommodage ».
Etat de guerre
Que la violence fasse rage depuis le second conflit mondial,
a un caractère d’évidence et, même si cela ne nous convient guère, celui qui a
donné au XXème siècle sa langue, faisant
passer ce siècle au suivant, est Céline. Voici ce qu’écrit à son sujet Philippe Muray : « Il va
se faire le transporteur d’une apothéose guerrière. Et le plus stupéfiant est
que cette apothéose, où il a été du mauvais côté, du côté de ceux qui y auront
incarné le Mal, il va pourtant, lui, Céline, être presque le seul à en écrire
la langue. ». Ecoutons Céline lui- même dans « Nord » alors
qu’il anticipe sur ce troisième conflit mondial dans lequel nous nous trouvons
désormais : « Grande révolution ! Vous savez ? La
Peste est devenue toute petite…la Famine aussi…toute petite…la Mort, la Guerre,
tout à fait énormes ! Plus les proportions de Dürer !...tout a
changé… [… ]. Cette guerre sous Dürer serait terminée depuis deux ans. Celle-ci
ne peut jamais finir. » Et puis : « Combat d’espèces
implacables. Fourmis contre chenilles. Entreprise de mort. » La métaphore
animalière met en relief l’aspect
grégaire, voire massif des mouvements sociaux contemporains, réalité à laquelle
un autre écrivain : Paul Virilio, analysant « la ville en
guerre » se montrera sensible, en particulier dans son ouvrage « Ville
panique ».
Dans ce contexte, annoncé par Céline, trois auteurs aussi
différents que l’écrivain Alessandro
Barrico (« Homère, Iliade », 2005),
le philosophe Peter Sloterdijk (« Colère et temps », 2006),
et l’anthropologue René Girard
(« Achever Clausewitz » 2007) s’intéressent à la question des
violences conflictuelles, arrimant leur pensée à Homère Hegel et Nietzsche
entre autres, et ouvrant, chacun avec sa singularité, des pistes grâce
auxquelles la réflexion peut s’exercer et survivre peut-être, à ces rages que,
le plus souvent impuissants, nous voyons, de tous côtés exploser. Dans aucun de
ces titres, le mot guerre n’est prononcé car les violences modernes ne rentrent
plus dans cette catégorie, dans la mesure où, dérégulés, les conflits se
démarquent désormais des guerres classiques qui obéissaient à un code. C’est
pourquoi Barrico, dans sa « postille » indique que ce terme ne peut
plus être utilisé que par « commodité ». (C’est pourquoi aussi, ces temps-ci la réitération obstinée de ce mot
interroge et Giorgio Agamben, questionné récemment sur France Culture,
soulignait l’abus de ce terme, posant la question : peut-on être en guerre
contre le terrorisme qui n’est pas un adversaire bien défini ? Les avions
de chasse, en effet, pourraient-ils
pulvériser une idéologie ?)
Peter Sloterdijk, dès le premier sous-titre de son
introduction : « Le premier mot de l’Europe », annonce ce
qu’il développe ensuite : tout a commencé par la colère d’Achille :
« La colère d’Achille, de ce fils
de Pélée, chante-la-nous, Déesse ». Cette colère, ce « thymos », et tout au long de
son texte, il emploiera ce terme ainsi que l’adjectif « thymotique »,
qu’il en fait dériver, mène à la guerre, mais nous autres modernes, indique-t-il,
ne pouvons pas concevoir la nature du « thymos » homérique : il
est en effet valeureux, affirmation de dignité, énergie vitale. Comment pourrions-nous ressentir cette sorte de joie
qui irrigue la colère homérique ? Même si le récitant en souligne l’aspect
néfaste, « colère détestable », dit-il, il en indique aussi,
invoquant la Déesse, le caractère d’ « apparition » l’aspect quasi
épiphanique. Il demande aux forces surnaturelles de « chanter » la
colère, de la glorifier en quelque sorte.
Barrico, lui aussi, dès la première page, évoque ce
« thymos » : « Tout commença par un jour de
violence ». (Ici, la
« colère » est devenue « violence »). Mais, ce
propos, il le met dans la bouche d’une femme, Chryséis, enlevée lors d’un
saccage de Thèbes, par les Grecs et attribuée, comme butin à Agamemnon. C’est le
refus de ce dernier, de la rendre à son père, sauf si Achille, en contrepartie,
lui cède sa captive Briséis, -ce que Achille fera, par souci de la dignité des
Grecs-, qui déclenchera la seconde colère d’Achille et sa brouille avec
Agamemnon. Que Barrico, en ouverture, donne la parole à une femme captive
indique bien son projet d’une transcription renversée de
l’« Iliade », nous verrons ultérieurement à quelle fin.
La violence, René Girard indique dans son introduction, que
le livre qu’il lui consacre est « apocalyptique ». Après la lecture
du traité « De la Guerre », de
Carl Von Clausewitz (1780-1831), officier prussien qui a ressenti comme un
désastre la défaite de Frédéric-Guillaume II à Iéna, et vécu dans la
fascination exercée sur lui par Napoléon Bonaparte, Girard affirme que nous
devons « changer notre interprétation des événements, cesser de penser en
hommes des Lumières, envisager la radicalité de la violence et avec elle
constituer un tout autre type de rationalité » ; c’est ce qu’il
s’efforcera de faire au cours d’entretiens avec Benoît Chantre dans
« Achever Clausewitz ». Ce titre suggère ce que Girard ne cessera
ensuite de montrer et de mener jusqu’à des conséquences devant lesquelles
Clausewitz a, selon lui, reculé : l’auteur de « De la guerre » a
perçu combien les conflits et les relations humaines en général, fonctionnent
selon un mécanisme d’imitation,
d’ « action réciproque », menant au duel et à la « montée
des extrêmes ».
La colère selon
Sloterdijk et Girard (résumé)
Le thymos, la colère, Sloterdijk voudrait qu’elle puisse
être détricotée de l’éros, ce que ni la religion, ni la psychanalyse ne
réalisent et il s’emploie à éclairer que, pris dans nos ornières conceptuelles,
chrétiennes et psychanalytiques, nous ne sommes pas parvenus à ce détricotage. Pour le
tenter, il revient aux figures hégéliennes du maître et de l’esclave indiquant que la colère naît avant tout d’un
désir d’être reconnu par un autre « doté de valeur » plutôt que d’une
convoitise dirigée vers l’objet qui caractérise l’éros. Chemin faisant, d’un
point de vue marqué par l’économie, il montre que la colère est manipulable,
capitalisable, que les petits porteurs transforment leurs colères individuelles
en actions centralisées dans une sorte de banque de la vengeance qu’ils
chargent de les laver de leurs humiliations et de faire justice. Ces banques
fonctionnent comme des « collecteurs de colère » et c’est avec cet
outil conceptuel qu’il interroge l’Islam après avoir évoqué les « banques
religieuses » et les « banques révolutionnaire » de la colère.
Il questionne à propos de l’Islam (de
façon qui paraît aujourd’hui prémonitoire) : « L’Islam
politique, -qu’il se présente ou non avec une composante terroriste- peut-il se
déployer pour devenir une banque mondiale alternative de la colère ?
Deviendra-t-il un centre de collecte des énergies antisystémiques ou
postcapitalistes doté d’un pouvoir d’attraction global ? » (Espoir qui paraît fou aujourd’hui, mais ne
le serait peut-être pas à long terme s’il « civilisait » sa
composante terroriste.)
Pour René Girard, il s’agit, lisant Clausewitz contre Hegel,
de montrer la supériorité théorique du premier. Il considère Clausewitz comme
un théoricien de génie qui a su, dans sa douloureuse réflexion sur la bataille
de Iéna, comprendre que le mimétisme, « l’action réciproque » d’où
découlent le « duel » et la « montée aux extrêmes »,
s’impose, mécanique implacable, dans les liens humains ; mais, selon
Girard, effrayé par ce qu’il découvre, Clausewitz s’est arrêté en chemin. Il s’agit
donc de l’ « achever », et, dans cette perspective, de
travailler sur la question de l’imitation. Selon lui, ce que voit Clausewitz et
que ne voit pas Hegel, c’est que « l’oscillation des positions
contraires devenues équivalentes peut très bien monter aux extrêmes »
parce que, le désir du regard de l’autre tel que Hegel l’énonce « n’a
que peu de choses à voir avec le désir
mimétique, qui est désir d’objet, désir de s’approprier ce que l’autre
possède. » Pour Girard, donc, dans une approche de Hegel qui se
différencie de celle de Sloterdijk, la colère reste liée à l’éros dans la
mesure où le désir d’objet s’amalgame à celui de reconnaissance par un autre, (non plus parce qu’il est « doté de
valeur », mais parce qu’il est en possession de l’objet convoité…ou que
l’objet est convoité parce qu’il le possède)
L’on voit bien ce qui
sépare les deux penseurs et que Sloterdijk résume en ces termes : « « Girard
est un grand naturaliste de la fierté, mais il s’est laissé prendre par
l’érotisme de la psychanalyse. Pour lui, la rivalité mimétique est un érotisme
dégénéré, une expression du vouloir avoir, bref du péché originel. Dans sa
conception de la psyché humaine, il n’y a pas de place pour la dynamique de la
colère, du « thymos » grec, qu’il ne faut pas confondre avec le désir
érotique. Il ne prend pas en compte cette bipolarité platonicienne entre
érotisme et thymotisme. Or, même si toutes les questions sociales étaient
résolues, la dimension de l’orgueil et de l’ambition demeurerait ». Pour
Girard, il s’agit donc de dégager l’éros en tant que désir d’objet de ce
que Hegel a théorisé comme désir de
reconnaissance et de considérer le premier comme moteur essentiel des actions
humaines ; Sloterdijk opère la même distinction, mais pour donner
l’avantage au thymos dont le désir de reconnaissance est la suite, d’où la
colère de ceux qui, individuellement ou socialement -l’on pourrait ajouter
mondialement-,se sentent humiliés.
Chacun des deux penseurs envisage une éventuelle sortie de
la colère.
Pour Girard, penser autrement l’identité, c’est « la
penser comme un mimétisme retourné, une imitation positive » mais
« la mimesis paisible n’est
rendue possible que dans le cadre d’une institution déjà établie, déjà fondée
depuis longtemps : elle a comme base l’apprentissage et le maintien des
codes culturels ». L’identification, dès lors, ne serait plus absolue,
mais reconnue et partielle. Le cadre possible de ce renversement est, selon
lui, à chercher du côté du christianisme, à l’opposé de la théorisation de la
guerre élaborée par Clausewitz : « je doute, évidemment, qu’il y ait chez
Clausewitz un appel du Royaume de Dieu, un dépassement de la haine
pour Napoléon ». […] « Achever
ce qu’il n’a fait qu’entrevoir, c’est retrouver ce qu’il y a de plus profond
dans le christianisme ». Et, pour Girard, il y a lieu de reconnaître que
nous ne sommes pas autonomes et que notre identité doit donc, pour ne pas
entraîner de la violence, cesser de s’affirmer comme indépendante de l’autre. Cette
question d une Identité pure et de ses liens avec la violence conduit à
s’interroger sur les excès de l’Islam
dont Girard fait remarquer : « Il est sourdement miné par le
ressentiment. Il y reste un élément de cet archaïsme qui n’a pas été défait par
le biblique et le christianisme. En ce sens, l’Islam fait plus que remplacer le
communisme qui était déjà un succédané de religion sacrificielle ». Penseur
de l’apocalypse, il balance, ainsi que le lui fait remarquer Benoît Chantre au
cours de leurs entretiens entre le Chaos et le Royaume. Il faudrait, selon lui,
se situer résolument après l’archaïsme religieux et entendre le message du
Christ, du côté d’une réconciliation qui serait l’envers de la violence. Mais
les hommes dit-il, restent sourds et il est donc improbable que cette
réconciliation advienne. Il envisage donc l’apocalypse : « Le neuf
absolu, c’est la Parousie, c'est-à-dire l’apocalypse. Le triomphe du Christ
aura lieu dans un au-delà dont nous ne pouvons définir ni le lieu ni le
temps. » Il n’abdique pas pour
autant toute espérance. « Mais celle-ci doit se mesurer à l’aune d’une
alternative qui ne laisse d’autre possibilité que le destruction totale ou la
réalisation du royaume ».
Peter Sloterdijk, constate que si la colère est loin d’être
épuisée, ce qui arrive à son terme « c’est la constellation
psychohistorique de la pensée de la
vengeance, rehaussée par la religion et la politique, qui a marqué l’espace
processuel christo-socialo-communiste ».
Alors ? Il faudrait remplacer « cette figure
toxique qu’est « l’humilité vengeresse » par une intelligence qui
s’assure de nouveau de ses motifs thymotiques. »[…] « Les enjeux de
ce programme de formation sont élevés. Il s’agit de la création d’un code of conduct pour des complexes
culturels multiples ». Un équilibre est pour lui à maintenir par des
relations de force à force. « La grande politique ne se fait que sur le
mode d’exercices d’équilibre […] Le mot exercice ne doit pas faire oublier que
l’on s’exerce toujours en vue d’un danger réel pour éviter que le pire
survienne. […] Si les exercices vont bon
train, il pourrait se constituer un set interculturel de disciplines de
rigueur, que l’on pourrait, pour la première fois, qualifier d’une expression
que l’on a jusqu’ici toujours employée trop tôt : « la
civilisation mondiale ».
Une autre voix :
Alessandro Barrico
Je n’ai pas, dans
cette deuxième version de mon texte, abordé la pensée de Barrico dans le même
cadre que celle de Sloterdijk et Girard. Dans le contexte actuel, il m’a semblé
important d’accorder une place singulière à son interprétation de
« L’Iliade » et surtout à son analyse de la fascination exercée par
la guerre.
Dans la postille de
son « Homère, Iliade », il justifie son travail de
transcription : « Ce ne sont pas n’importe quelles années, les années
où nous sommes pour lire l’ « Iliade ». Ou pour la «
réécrire » comme je me suis trouvé à le faire. Ce sont des années de
guerre » ; et il complète après avoir énoncé que le mot
« guerre », même s’il est devenu erroné, sera conservé par
commodité : « ce sont en tout cas des années où une certaine
barbarie orgueilleuse, liée pendant des millénaires à l’expérience de la
guerre, est redevenue une expérience quotidienne. » Il dégage ensuite,
dans l’œuvre une sorte de seconde « Iliade », entre les lignes de la
première. L’on peut y discerner « la force, la compassion, même, avec
laquelle sont rapportées les raisons des vaincus. », ce qui fait signe
d’un « amour obstiné pour la paix. Au premier regard, tu ne le vois
pas, l’éclat des armes et des héros t’aveugle. Mais dans la pénombre de la
réflexion apparaît une « Iliade » à laquelle tu ne t’attendais pas.
Je veux dire : le côté féminin de l’« Iliade ». Ce sont souvent
les femmes qui énoncent, de façon directe, le désir de paix ». L’on
comprend maintenant pourquoi c’est une femme, Chryséis », qui ouvre le
récit de Barrico qui poursuit : « C’est par leur voix qu’on le
comprend, ce côté féminin de l’ « Iliade » : mais quand on
l’a compris, on le retrouve, ensuite, partout. Nuancé, imperceptible, mais
incroyablement tenace. Je le perçois très fort dans les innombrables sections
de l’ « Iliade » où les héros, au lieu de combattre, parlent. Ce
sont des assemblées sans fin, des discussions interminables, et on ne cesse de
les exécrer que lorsqu’on commence à les prendre pour ce qu’elles sont, en
fait : un moyen pour eux de reporter la bataille le plus possible. » Il y a selon Barrico, dans cette
épopée, l’intuition d’une civilisation dont le ressort ne serait pas la guerre
et donc « amener cette intuition à se réaliser, c’est peut-être ce qui
nous est proposé par l’ « Iliade » en héritage ».
Comment y parvenir ?
Après avoir montré que cette histoire présente la guerre
comme un « débouché quasi naturel de la cohésion sociale » (et en cela, il se rapproche des points de
vue de Sloterdijk et Girard), il
ajoute : « Mais elle ne fait pas que cela : elle fait autre
chose de bien plus important et, d’une certaine manière, insupportable :
elle chante la beauté de la guerre et elle la chante avec une force et une
passion inoubliables ». Voilà qui nous ramène à la fascination exercée sur
Clausewitz par Napoléon et ses victorieuses campagnes…mais pas seulement sur
Clausewitz. Il n’est que de se remémorer les nombreuses fresques cinématographiques
consacrées à l’empereur et, en ce qui concerne l’esthétisation de la guerre,
les films cultes comme « Un long dimanche de fiançailles» ou, sur fond de
musique classique « Apocalypse now ».
Alors ?
Ce que suggère peut-être l’ « Iliade », c’est
qu’aucun pacifisme aujourd’hui ne doit oublier ou nier cette beauté. […] Aussi atroce que cela paraisse, il est
nécessaire de se rappeler que la guerre est un enfer, oui : mais beau. Depuis toujours, les hommes
s’y jettent comme des phalènes attirées par la lumière mortelle du feu. Aucune
peur, aucune horreur de soi n’a pu les tenir éloignés des flammes : parce
qu’ils y ont trouvé la seule possibilité de racheter la pénombre de la vie.
Aussi la tâche d’un vrai pacifisme,
aujourd’hui, devrait être non tant de diaboliser la guerre à l’extrême, que de
comprendre que c’est uniquement quand nous serons capables d’une autre beauté
que nous pourrons nous passer de celle que la guerre depuis toujours, nous offre. Construire une autre beauté,
c’est peut-être la seule voie vers une paix vraie. […] Donner un sens fort, aux
choses, sans devoir les amener sous la lumière aveuglante de la mort. Pouvoir
changer notre propre destin sans devoir nous emparer de celui d’un autre ;
réussir à mettre en mouvement l’argent et la richesse sans recourir à la
violence ; trouver une dimension éthique, y compris très haute sans devoir
aller la chercher dans les marges de la mort ; nous confronter à
nous-mêmes dans l’intensité d’un lieu et d’un moment qui ne soit pas une tranchée ;
connaître l’émotion, même la plus vertigineuse, sans devoir recourir au dopage
de la guerre ou à la méthadone des petites violences quotidiennes. Une autre
beauté » Et Barrico termine son œuvre dans la perspective que nous
réussirons un jour à soustraire Achille à une guerre meurtrière. « Et ce
ne sera pas la peur ou l’horreur qui le ramèneront chez lui. Ce sera une
certaine beauté, une beauté différente, infiniment plus douce ».
Trois penseurs nous
ouvrent donc des chemins de réflexion.
Le troisième est aussi un écrivain auteur de textes magnifiques comme
« Océan mer » ou « Novecento pianiste », par exemple. Pour lui, l’objectif est d’inscrire une
beauté fascinante dans une dimension éthique élevée, source d’émotions
éventuellement vertigineuses, beauté nouvelle qui manque cruellement à ceux que
le Djihad, par conséquent, attrape dans ses ensorcelants filets. Méditons cela
en ces temps où les multiples appels aux « valeurs » pourraient bien
n’être que le rappel de valeurs rétrogrades reconduisant aux guerres. Cela
donne à penser que les images médiatiques récurrentes des chorégraphies
d’entraînement de l’ « Etat islamique », les postures héroïques
de ses archanges de la mort, en principe destinées à susciter l’effroi,
pourraient bien exercer une sorte de « charme ». De même tous ces
gros plans sur l’attirail de guerre des
occidentaux : avions de chasse, armes, camions, bombardements etc. (et
l’on ne peut excepter le recours à divers signes de patriotisme, actuellement
très présents)), peuvent être autant d’appels à un éveil belliciste. Difficile,
là, de distinguer l’indispensable du toxique.
Prêtons l’oreille,
pour ne pas succomber à la désolation, en ces « temps de détresse »
qui rendent indispensable la poésie alors qu’on condamne à mort en Arabie
saoudite un poète palestinien pour des propos hostiles à Dieu et au royaume,
oui, prêtons l’oreille, obstinément, pour ne pas perdre courage, à toutes ces
petites voix porteuses d’espoir du côté d’initiatives associatives nouvelles
comme du côté de l’art et de la beauté.
nc