Mercredi 14 décembre, l’humoriste
de France Inter, Nicole Ferroni finit son billet avec des larmes dans la
voix : notre humanité s’effondre avec la ville d’Alep et c’est comme si,
avec celle de Nicole Ferroni, notre voix
s’étranglait. Sa fonction était de nous faire rire mais rire du massacre aurait
été un autre terrorisme, celui que dénonce François L’Yvonnet dans « Homo
comicus ou l’intégrisme de la rigolade ». Au lieu de cela, avec son émotion, elle nous
propose un nom, Hadi Al Abdallah, sa source, qui crée un lien avec ceux d’Alep.
Sa souffrance éthique, la nôtre, comme
celle de la représentante des Etats-
Unis questionnant le représentant de la fédération de
Russie : « Vous n’avez honte de rien ? », naît de
notre impuissance, accrue, quand le Russe veut ridiculiser l’Américaine en
l’identifiant à mère Thérésa. C’est que la souffrance humaine, bien sûr, est,
depuis toujours, le tribut consenti des calculs géopolitiques meurtriers. Elle
est un effet inévitable de la logique guerrière.
Des larmes et de la honte ?
Ou alors, toutes les bulles possibles
pour ne pas ressentir le mal-être, lui opposer le plaisir qui me paraît aussi une
forme de résistance. Mais pas quand le plaisir devient divertissement au sens
pascalien et notre société propose à l’envi des occasions de s’étourdir. Quoi
d’autre ? Nous sommes en face de dictatures combattantes que la guerre
n’effraie pas et les populations occidentales ne veulent pas la guerre,
d’autant que cela ne résoudrait sans
doute rien, tant est embrouillée cette situation qui oppose les sunnites et les
chiites et à laquelle se mêlent les intérêts d’autres puissances. Les sociétés
occidentales ont cherché la négociation et même une action qui aurait été
possible si Obama ne s’était pas dérobé en 2013. Sans Obama, il aurait fallu
que l’Europe ait mis au point une défense commune, faute de quoi l’occident a
baissé les bras, gardant ses munitions pour d’autres guerres, sociales,
économiques et les mieux lotis cherchent des chefs pour protéger leurs
privilèges tandis que les moins bien lotis cherchent des chefs pour en
acquérir. Autres guerres et des libertés partout mal en point, y compris celles
que toutes les formes de marketing et de propositions alléchantes nous dérobent
insidieusement.
Ailleurs notre cœur saigne, plus
peut-être pour Alep, où l’horreur est en ligne, que pour le Yémen, l’Afrique,
ou les minorités massacrées, là où les sévices, moins médiatisés n’en sont pas
moins cruels. Il saigne aussi pour ceux que la terreur traque et emprisonne en
Turquie, comme Sayin Asli Erdogan, malade derrière les barreaux. Il saigne là
où les corps sont violentés et détruits. C’est ce qui m’empêche, pour l’heure,
de danser, de m’enthousiasmer même si je ne veux pas, pour autant, rendre mon
mal-être contagieux. C’est pourquoi je le réserve à ce blog que je ressens
comme lieu personnel même s’il est en même temps, éventuellement, public et
partageable.
Le monde va mal et malgré l’appel
d’Angela Merkel, ou celui de Manuel Valls
la société civile ne se mobilise que tièdement ; alors elle pleure,
elle a honte, la honte n’étant pas pour autant la culpabilité. Serait-on
coupable de ne pas vouloir la guerre, de lui préférer la paix, la tendresse, la
douceur ? Et n’est-ce pas un comble que les pouvoirs non seulement se
renvoient la responsabilité les uns aux autres mais la fassent explicitement
porter aussi par les peuples qu’ils gouvernent.
Je me sens, moi aussi, partie
prenante des pleurs et de la honte dans la mesure où, comme je l’ai écrit par
ailleurs, en plusieurs occurrences, « j’ai mal à mon humanité »
et, cette année, en cette période où il est recommandé de festoyer, je me sens
économe de mes festivités, de mes élans ; il m’est impossible de dépasser
le seuil minimum au-dessous duquel, pour mon entourage, je ne veux pas
descendre. Au plus profond de moi, l’heure est davantage celle du recueillement
et du silence, dans une sorte de veille, une attente de temps meilleurs, qui,
je le crois, se lèveront un jour, même si je ne serai pas là pour les voir. J’ai
le sentiment de n’avoir énoncé là que des banalités, mais ça va mieux
en les disant qu’en les taisant.
NC