La veille, ils avaient, elle et
lui, épaule contre épaule, regardé par delà la fenêtre, le soleil déchirer l’étoffe
pourpre des nuages à l’ouest devenant peu à peu, dorénavant, leur territoire cosmique.
Ils avaient eu à éprouver
ensemble, en divers temps, la dureté du nord et les excès du sud.
Le mieux allant, le mieux disant
de leurs choix humains et de leur intimité, c’est à l’est et au sud-est, qu’ils
l’avaient vécu. Les violoncelles leur
avaient souvent prêté, là, leurs accords intermittents ; les peintres
avaient déposé sur leurs murs couleurs multiples des métamorphoses et des
effacements, des joies et des deuils qui encadrent une vie. Dans les moments
partagés de vacance et vacuité, ils avaient goûté, en poésie de mots les douces
soirées sous les grands chênes, quand des courses d’enfants résonnaient
alentour de rires déployés dont les grelots tintinnabulaient encore en sa
mémoire. Et le chat ronronnait d’aise, les couvant de son regard quand il
sautait sur les genoux qu’il taquinait de sa griffe amoureuse.
Quelques autres, aimés, avaient
croisé leurs trajets, autres amours les contestant, les faisant chanceler,
chavirer, déclenchant des trombes qui catapultaient l’un au nord, l’autre au
sud, et inversement ; jamais ils ne s’en étaient trouvés pour autant,
dissuadés de cet orient où ils se rejoignaient, où les ramenait ensemble le
choix personnel et humain de ce que, diversement, de concert, ils
entreprenaient. Et cette élaboration partagée continuait à nourrir leur implication
demeurée vivace, à leur mesure, dans le destin des hommes et du vivant.
Maintenant, sur une ligne
d’écriture, imaginaire à l’instar de
celle qui figure l’horizon, sa main traçait des signes d’ouest en est, redescendait
vers le sud, là où elle ressentait la légère pression des doigts de l’homme sur
ses doigts, dansait avec lui au rythme des «Mots bleus », goûtait la
chaleur de sa peau contre elle, et la joie déferlante des étreintes.
Jouant en l’instant sur le
clavier de son ordinateur comme sur un
piano, elle se voyait en même temps, en surimpression, devant une feuille
blanche, son stylo préféré à la main, habillage blanc, agrafes, extrémités et
liseré médian d’un gris doux et argenté, encre bleue courant sur les lignes
cardinales et aléatoires de l’écriture, ouest, est, sud …Le temps avait patiné
d’un voile sépia les images enlacées dans l’écriture mais, dans l’espace, elles
demeuraient d’une consistance, d’une épaisseur aussi irréfutables que le rouge le plus rouge
d’une rose ; et le stylo blanc- gris- bleu, toujours là, à portée de main
en était le garant, déployant parfois encore, sur le papier, sa course azurée.
Et le chemin, doucement,
s’infléchissait vers l’ouest. D’autres soirs encore, ils verraient, de leur
fenêtre, épaule contre épaule, le soleil rougeoyer, s’obscurcir, signaler le
destin, leur frayer le chemin. Un jour, l’un d’eux descendrait le premier,
ravinant l’autre, lui pointillant la courte échelle où se laisser glisser à son
tour, pour accoster au côtoiement ultime, inconnaissable alchimie, blanchiment
obscur au-delà des miroirs et cette perspective faisait la vie présente encore
plus vive, fruit à cueillir au vol, à l’est, dans l’éphémère saisissement de chaque
matin, joie fugace, existentielle, au point du jour.
nc