Tous, nous utilisons le numérique
dans nos recherches d’une information. Dès que nous l’avons obtenue, assez
souvent, elle se banalise. Elle ne pourrait devenir connaissance
(étymologiquement « naissance avec »), que si nous l’observions en détail, la tournant,
retournant pour en déceler les caractéristiques voire le mystère. En l’absence
d’un décryptage, elle n’est que jeu de divertissement tel que Pascal l’analyse.
Nous imaginons que la vitesse qui
nous a permis d’accéder à cette information est la base d’une connaissance d’où
pourrait émerger un discernement mais celui-ci ne pourrait s’acquérir que par
une intériorisation d’où se produirait
une appropriation. C’est « notre » sagesse, c'est-à-dire notre
vérité, notre éthique qu’ainsi nous élaborerions. Il y faut la lenteur d’un
mûrissement à l’instar de celui d’une plante qui a besoin de temps. On ne peut
tirer sur un végétal pour accélérer sa croissance. Le forcer serait le tuer.
Le mûrissement demande de tourner
le dos à l’urgence pour respecter une fructueuse allégeance au temps qu’il
faut.
T.S. Eliot nous avertit :
« Où est la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance ? Où
est la connaissance que nous avons perdue dans l’information ? »
Oui, pour que murisse la pensée
profonde, pensée complexe, le temps est un indispensable ingrédient…Ce
processus nécessite parfois, souvent, des années.
Respectant la temporalité, nous
pourrions expérimenter le singulier, l’incalculable, incomparable, improbable,
jusqu’au plus profond de nos pensées, nos rêves, notre poésie.
Rencontrer ainsi « notre »
sagesse serait réaliser une forme de néguentropie, résister à l’entropie
mortifère dans nos vies comme dans l’écologie. L’éthique n’est-elle pas une
forme d’écologie intérieure ? L’entropie liée aux accélérations que nous
subissons, mène notre humanité, notre planète dans le mur ; elle
caractérise l’Anthropocène (« entropocène » ?)
En regardant la nature, nous
ressentons la lenteur et le silence des arbres et alors nous devient évidente
la nécessité de résister à la folle accélération produite par le numérique dans
nos cerveaux court-circuités. La
toxicité de la vitesse qui voudrait rivaliser avec celle de la lumière, si nous
en prenons conscience, nous pourrions la renverser en auxiliaire de la pensée
profonde à condition d’inventer une autre utilisation du numérique, dans une
adoption critique qui ne serait pas aveugle adaptation. La technique serait
alors mise au service des hommes plutôt qu’utilisée à les manipuler et les
façonner. Chacun pourrait, devrait,
avoir là son mot à dire car c’est nous qui sommes utilisateurs du numérique.
Mais pris dans un emballement passif voire dans une addiction, nous obéissons
souvent à la formule perverse « je sais bien mais quand même ». Alors
nous nous mettons en danger et à ce danger, nos descendants, rendus peu à peu
ignorants de tout le fonds préindividuel qui nous précède -car y accéder d’un
click rapide est encore le méconnaître-, risquent d’être plus exposés que nous.
Pourvu que, comme parfois dans l’histoire de l’humanité, la convergence de
vouloirs concertés puisse mener à un renversement de cette folie et inscrire
une bifurcation après trois siècles de progressive dérive vers un
capitalisme devenu numérique qui pourrait faire de nous des obèses mentaux !
Comme ce serait bon, plutôt que de tuer
le temps, de le prendre entre nos paumes tièdes et de, longuement, le goûter !
nc