Une œuvre jeune
Cette œuvre nous touche, nous concerne tous en
notre humanité, en nos trajectoires destinales diverses. Traversant le temps,
son universalité en fait une œuvre jeune. Comment le dire mieux que Max- Pol
Fouchet : « On éprouve de
la gêne à parler après ce livre, un tel livre. Et c’est pour cette raison,
d’abord, que Malcolm Lowry, dans sa préface, offre au lecteur –non sans
négligence, humour, désinvolture, les clés de son royaume, ou, pour le moins,
de certaines capitales : au lecteur de s’en saisir, et s’il ne s’en saisit
pas, que pouvons-nous pour lui, écoutera-t-il davantage à l’issue des corridors ?
Mais c’est la moindre gêne. Et l’autre est plus sévère, que l’on ressent à
élever la voix quand le silence, à propos, paraît la plus sûre clausule, le
plus juste commentaire à…Eh bien à quoi ? Nous y voici. Nous sommes pris.
Nous sommes surpris. Pris aux lacs d’une foudre –soudaine, et qui tombe de
haut, rétiaire, sur nous, sur tous. Surpris devant le corail abrupt, sur le
ciel noir, de la foudre. C’est le destin, vite, au cœur frappant. Nous avions
oublié – oublié ?- qu’il était si jeune. Nous omettions qu’il ne
vieillissait pas, qu’il suffit d’une œuvre, que les grandes œuvres sont la
jeunesse du destin. »
Œuvre jeune, œuvre d’art
De
l’art, l’œuvre a cette complexité qui
ouvre tant de pistes à notre intériorité, à notre sensibilité, à notre méditation.
Cette complexité était bien dans l’intention de Malcolm Lowry et le résultat
est là, émouvant et fascinant à plus d’un titre dans la multiplicité des
formes. Ecoutons ce qu’il dit de son roman dans la préface : «Il peut être considéré comme une
sorte de symphonie, d’opéra, ou même de film de cow- boys. J’ai désiré
en faire une musique hot, un poème, une chanson, une tragédie, une
comédie, une farce et ainsi de suite. Il est superficiel, profond, distrayant,
assommant selon les goûts. C’est une prophétie, un avertissement politique, un
cryptogramme, un film loufoque, une absurdité, une phrase sur le mur. Il peut
être considéré comme une sorte de machine, croyez-le bien, comme je l’ai
découvert à mes dépens. Et pour le cas où vous penseriez que j’en ai fait
n’importe quoi sauf un roman, je vous répondrai qu’en fin de compte, c’est un
véritable roman que j’ai eu l’intention d’écrire, et même un roman diablement
sérieux »
Je
retiens ici l’idée de machine, machine infernale, Roue Ferris. Nos écritures ne
fonctionnent-elles pas ainsi, parfois à nos dépens, nous laissant suspendus la
tête en bas, comme un trajet psychanalytique en quelque sorte…Puissance de ces
mots, que l’on dit, que l’on écrit, qui nous propulsent.
Le foudroiement de la poétique
Souvent,
c’est la poésie qui m’a laisée bouche bée. Je pense en particulier au vibrato
ascendant nous portant vers les étoiles, quand meurt Yvonne, cette incarnation
de la lumière : « […] C’étaient les constellations et au centre,
tel un grand œil froid brûlait la Polaire et en ronde tout autour d’elle
allaient : Cassiopée, Céphée, le Lynx,la Grande Ourse et le Dragon ;
ce n’étaient pourtant pas des constellations, mais, d’une manière ou d’une
autre, des myriades de beaux papillons, elle faisait son entrée au port
d’Acapulco à travers une tornade de beaux papillons zigzaguant au-dessus des
têtes et s’éclipsant sans cesse vers l’arrière au-dessus de la mer, la mer rude
et pure, les longues houle de l’aube avançant, se haussant et croulant à grand
bruit pour s’en aller glisser en ellipses incolores sur le sable, sombrant,
sombrant […] Yvonne se sentit soulevée et emportée, vers les étoiles, à travers
des tourbillons d’étoiles s’égaillant dans les airs en cercles de plus en plus
vastes comme des ronds sur l’eau, parmi lesquels apparaissaient maintenant,
comme une troupe d’oiseaux de diamant volant avec une suave régularité vers
Orion, les Pléiades… »
Et
puis ce pur poème gribouillé par le consul : « Il se mit à s’évader il y a quelques années
…a été…depuis toujours en train de
s’évader
Ignorant que ceux qui le
pourchassaient avaient abandonné
L’espoir de le voir au bout d’une
corde (danser)
Traqué par une meute d’yeux et un
grouillement de terreurs
Alors que sa loupe le monde à l’œil
qui flambe
Indifférent à sa défense même ne le
scrutant
Qu’au strict plus-que-passé ne
perdait pas…
Pensant qu’il ne valait pas (même)…
Le prix d’une froide cellule.
Peut-être y aurait-il
Un scandale à sa mort. Pas plus.
Certains racontent
D’étranges histoires d’enfer sur
cette pauvre âme en détresse
Qui s’enfuit un jour vers le
nord »
Et puis ces « visions » de la nature
et du monde extérieur : « Soleil
couchant. D’oranges et verts tourbillons d’oiseaux s’égaillaient dans les airs
en cercles de plus en plus vastes comme des ronds sur l’eau. Deux porcelets
disparurent sous la poussière, au galop. Rapide, une femme passa, portant en
équilibre sur sa tête, avec une grâce de Rebecca, une bouteille petite et
légère »
Et
puis…Et puis…
Au
moment de quitter ce livre, je le vois comme inépuisable : un livre ouvre
sur un autre comme des portes en abîmes et je me dis que derrière les livres
que j’ai lus dans ce livre, il s’en cache un autre que je n’ai su lire… Le
livre qui échappe n’est-il pas le meilleur guide vers un autre lieu du trajet
de vie et encore un autre lieu…à l’infini. Il continuera à décanter en moi et
j’en vivrai de nouveaux dévoilements. J’en acquiers un gain d’humanité, de spiritualité et reste
saisie par les éclairs poétiques qui en représentent à mes yeux un des
principaux attraits.
nc…
2 commentaires:
J'adhère à sang pour sang au propos et à l'ivre lumière des livres!
Bonne fin de journée chal-heureuse!
Grand merci Thami, thamoureux de la lumière, celle des livres et de la vie bien contemplée et si artistiquement mise en images par ton regard.
Merci d'être venu et bonne journée à toi aussi
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